DECES DE ALI FARKA TOURE
Le blues
perd l'une de ses précieuses "racines"
Ce 7 mars
restera sans doute comme l'un des mardis les plus sombres de l'histoire
contemporaine du Mali. En effet, le monstre sacré du blues, l'icône
de la musique malienne Ali Ibrahim Touré alias "Ali Farka"
s'est éteint hier à l'aube (6h du matin). Rongé
depuis des mois par (un cancer dit-on), il s'est éclipsé
dans l'intimité familiale dans sa maison de Lafiabougou.
Dire que ce décès est une perte énorme pour le
Mali serait une impardonnable lapalissade. Ali disparaît quelques
jours seulement après avoir été lauréat
du Grammy Award 2005 (catégorie musique du monde) avec Toumani
Diabaté. Une consécration que leur a valu leur duo dans
"The heart of the moon" (Au cœur de la lune). Ce trophée
qui devrait arriver ce soir, avec Nick Gold, le producteur de la défunte
star. Une consécration qu'il ne pourra pas, hélas, savouré
comme la première reçue en 1995 avec "Talking Timbuktu".
La dépouille mortelle quittera Bamako mercredi pour Niafunké,
la ville adoptive de Farka dont il était l'édile. "C'est
dernière volonté de Ali Farka. Il a souhaité être
enterré à Niafunké", précise Toumani
Diabaté qui l'a quitté quelques heures seulement avant
son décès. La disparition de Ali Farka Touré est
une perte inestimable pour le Mali, aussi bien sur le plan culturel
que politique. Dans le monde, des millions de personnes identifient
aujourd'hui le Mali aux œuvres du bluesman du désert. C'est
un monument du patrimoine musical du monde qui vient de s'écrouler.
C'est la fin d'un parcours atypiquement rayonnant.
Ali Ibrahim Touré est né en 1939 dans le village de Kanau
près de Gourma Rharouss ( à 75 Km de Tombouctou). Une
localité située au bord du fleuve Niger dans la partie
Nord-Est du Mali. Il était le dixième garçon de
sa mère mais fut le seul à survivre à l’enfance.
"J’ai perdu neuf frères de lait. Le nom que je porte
est Ali Ibrahim. Mais il est une tradition en Afrique de donner un surnom
étrange à votre unique enfant si vous avez perdu tous
les autres", nous a-t-il révélé lors de nos
nombreuses rencontres. Le nom traditionnel qu’on a donné
à Ali est "Farka" c'est-à-dire l'âne,
un animal admiré à cause de sa force et de sa ténacité.
"Laissez moi vous dire clairement une chose. Je suis l’âne
sur lequel personne ne peut monter", plaisanta-t-il.
Avril 2005
Dès l’enfance, Ali perdit son père qui servait dans
l’armée française. Alors sa famille se déplaça
vers le sud en suivant le fleuve pour venir s’installer à
Niafunké qui devint sa ville adoptive. Le bluesman-paysan allait
d'ailleurs rapidement devenir le plus célèbre citoyen
de Niafunké. Pas seulement à cause de sa notoriété
internationale, mais aussi à cause de son immense investissement
dans le secteur agropastoral. Bien qu’il soit internationalement
connu en tant que musicien, il s'est toujours considéré
comme un paysan.
Le chemin
du destin
Ali vient d’une famille noble. Dans sa famille il n’y a
pas de tradition basée sur la musique. Mais très tôt
dans sa vie Ali a été attiré par la force de la
musique. Il est né "enfant du fleuve". Ali n’a
pas été scolarisé et son enfance a été
marquée par le travail de la terre. Mais, il fut aussi fasciné
par la musique jouée lors des cérémonies spirituelles
dans les villages situés le long du fleuve Niger. Au cours de
ces cérémonies, il s’asseyait et écoutait
avec stupéfaction les musiciens chanter et jouer les instruments
favoris des esprits : le Jurukelen (guitare à une corde: monocorde),
le njarka (violon à une corde) et le ngoni. La famille de Ali
n’a pas accordé un intérêt à la musique
ainsi le jeune garçon n’a pas été encouragé
à faire de la musique. Cependant avec son acharnement et son
auto détermination, il fabriqua à l’âge de
12 ans son premier instrument musical, le Jurukelen (qu’il a offert
à Ry Cooder comme cadeau).
Pendant son adolescence Ali a travaillé comme taximan et mécanicien
d’automobile. Il a aussi passé une partie son temps à
conduire les pirogues ambulances. Il voyagea beaucoup pendant ces temps
et continua à jouer la musique lors des cérémonies
pour le simple plaisir. Il accompagna les petits groupes musicaux et
certains chanteurs. Déjà à 20 ans, il savait parler
couramment sept langues du Mali et maîtrisa le ngoni (instrument
traditionnel à 4 cordes), le violon njarka et la flûte
peule en bambou. Ces nombreux voyages lui ont aussi permis de rencontrer
plusieurs maîtres de la musique. Ainsi il acquerra un vaste et
légendaire répertoire musical. "Je devais me servir
de l’expérience des grands de la musique, morts ou vivants,
pour devenir un bon musicien. Cette expérience m’a permis
d’apprendre beaucoup sur la musique, surtout sa légende
et son histoire ".
En 1956 lors d’un de ses voyages, Ali assista à une prestation
du ballet national de Guinée dirigé par le grand guitariste
Fodéba Kéita. "C'est en voyant ce dernier jouer la
guitare que j’ai juré de devenir guitariste. Je ne sais
pas quelle guitare il jouait, mais je l’ai beaucoup appréciée.
J’ai senti que je pouvais faire comme lui et que je pouvais le
prouver ". Ali a commencé à emprunter des guitares
pour s’exercer. Il trouva qu’il était facile de jouer
les notes de sa guitare traditionnelle sur l’instrument occidental.
C'est en avril 1968 qui s'acheta sa première guitare lors d'un
voyage à Sofia (Bulgarie).
Des ambitions
réalisées
Animé d'une volonté inébranlable de réussi
dans la vie, ce père de 12 enfants a relevé tous les défis
auxquels il a été confronté. Sa carrière
moderne a commencé en 1962 lorsqu'on lui fit appelle pour diriger
l’orchestre de Niafunké et participe avec la région
de Mopti aux différentes éditions de la biennale artistique
et culturelle du Mali. En 1968, participe au festival de Sofia. Entre
1971 et 1980, le virevoltant guitariste est engagé à la
RTM (actuelle ORTM) comme technicien de son. Ce n'est qu'en 1975 qu'Ali
Farka enregistre son premier disque (Timbarma) a été enregistré
en France. En 1980, il quitte la RTM et retourne à la terre à
Niafunké.
On ne le reverra sur scène qu'en 1987 lorsqu'il entrepris sa
première tournée européenne et enregistra son second
album. Le premier opus avec World Circuit la célèbre maison
de disque anglaise qui lui a définitivement ouvert la voie du
succès, de la consécration, de la célébrité.
Il s'en suit une série de chef d'œuvres comme "The
River", "The Source", "Talking Timbuktu" et,
enfin, "Niafunké" (1999). De 1987 à son décès,
Ali Farka Touré a sillonné le monde entier en allant de
succès en succès, de consécration en consécration…
La retraite
anticipée
Sage philosophe, Ali a conscience qu'il faut savoir s'arrêter
au moment opportun. Il est surtout conscient que "le miel n'est
pas doux dans une seule bouche. Il faut céder la scène
aux jeunes et leur donner l'opportunité de sortir de l'ombre".
Il a montré la voie. Et la carrière internationale de
son neveu et dauphin, Afel Bocoum, est actuellement très bien
lancée. Le parrain a d'ailleurs avait tenu à ce que son
héritier l'accompagne au Folklife afin de lui trouver des opportunités
de promotion internationale.
Mais, Ali Farka Touré n'a jamais abandonné les jeunes
qui l'ont approché à eux-mêmes. C'est en parti grâce
à lui que la Diva Oumou Sangaré est entrée à
World Circuit. Ce qui lui vaut aujourd'hui le rayonnement mondial qu'elle
connaît aujourd'hui. Il voulait leur laisser ses "Mémoires",
une référence pour la postérité. En effet,
après Niafunké sorti le 20 juin 1999, Ali travaillait
sur un ultime album. "Le dernier", nous disait-il à
la veille de son de son dernier voyage en France. Un séjour au
cours duquel il a été terrassé par la maladie qui
vient de l'emporter. Une œuvre désormais posthume qui sera
le testament musical du monstre.
Le mérite de Ali Farka sacré qui a définitivement
enraciné le blues dans son cadre historique et culturel. Il l'a
déraciné du Mississipi pour l'implanter sur les berges
du limpide Djoliba. Il a mis tout son talent dans cet album de 14 titres
dont la sortie est annoncée avant la fin de cette année.
"Beaucoup disent que c'est un chef d'œuvre. En tout cas, j'ai
mis tous les atouts de mon côté pour que ce soit un album
exceptionnel qui puisse servir de référence aux nouvelles
générations et enrichir leur expérience musicale",
nous avait déclaré un Farka sûr de son dernier coup.
Le dernier Grand concert l'illustre disparu date d'avril 2005. C'était
au CCF à l'occasion de la diffusion d'un documentaire sur le
blues, "du Mali au Mississipi". Il s'efface de la façon
la plus brillante et la plus honorable avec son dernier Grammy Awards.
Un trophée dont il a été le premier Africain à
recevoir.
A ces cadets, ils conseillent de faire des recherches parce que le Mali
regorge d'immenses potentialités artistiques et culturelles qui
peuvent leur valoir bien de succès un peu partout dans le monde.
Parce que pour le bluesman paysan, "il faut chercher sans s'oublier".
Il les avertissait aussi de ne pas pousser la modernisation de la musique
traditionnelle à la perte d'identité. Pour lui, le problème
à ce niveau est le manque de musiciens qui maîtrisent comme
il le faut les instruments modernes. "Nous sommes donc obligés
de recourir aux occidentaux pour certains aspects de nos arrangements.
Mais, cela ne signifie pas qu'il faut dénaturer ce que nous avons
de si précieux", dit celui qui a partagé la scène
avec toutes les têtes d'affiche du blues comme Ree Cooder, Taj
Mahal...
Au "Double Grammy", On peut tout reprocher, sauf qu'il n'a
pas montré la voie de la préservation de notre riche culture
musicale aux jeunes. Un riche héritage dont la préservation
doit l'œuvre de tous ceux qui ont connu et admiré, le virtuose,
la maestro… l'artiste ! Dors en paix l'immortel !
|