AMINATA
DOUMBIA ALIAS "AMY-D", REVELATION RAP AU MALI
"Beaucoup de gens vivent de la misère des femmes rurales"
Sa passion est à la hauteur de son talent. Aminata Doumbia dite
"Amy-D" ou Mimi, c'est d'elle qu'il s'agit, se positionne
aujourd'hui comme la voix la plus prometteuse du hip hop malien voire
africain. D'ailleurs cette ambition éclate sur son premier album
solo, "Sya", disponible sur le marché depuis le 28
juillet 2005. Une œuvre qui s'illustre par des featuring avec des
stars telles que Lassy King Massassy (son époux), Cheick Tidiane
Seck ou Kwal. Une somptueuse autoproduction de 8 titres distribuée
en Afrique par Mali K7. Nous avons rencontré Mimi à la
veille de son départ en France (3 octobre 2005) pour la promotion
de Sya. Interview !
Mag : Qu'est-ce qui justifie le choix de Sya comme titre générique
?
Mimi : Sya signifie l'ethnie, mais aussi la source et l'origine. A travers
ma musique, je cherche à me retrouver, à retrouver mes
racines. Dans la vie, il faut toujours savoir qui on est, d'où
on vient… Comme dit l'adage, "si tu ne sais où tu
pars, regardes d'où tu viens". On peut ainsi mieux vivre.
C'est à cet exercice que j'exhorte mes fans voire tous les Maliens.
Aujourd'hui, nous avons beaucoup de difficultés parce nous négligeons
nos valeurs sociales et culturelles…
-N'est-ce pas le cas partout en Afrique ?
Mimi : Si ! D'ailleurs je le dis dans ma chanson "Dugujèra"
(Le jour s'est levé). Je dis aux Africains qu'il fait jour et
qu'il est temps qu'on se réveille pour prendre notre destin en
main. L'Afrique ne peut pas se développer tant que son sort est
décidé par d'autres nations qui ne peuvent que privilégier
leurs intérêts. L'Afrique est riche de ses matières
premières, elle est riche de ses valeurs sociales et culturelles
à partir desquelles nous pouvons puiser l'énergie nécessaire
pour prendre notre destin en main.
-Pensez-vous donc que les difficultés de développement
des pays africains sont d'ordre culturel ?
Mimi : Evidemment ! Le mimétisme nous pousse à suivre
les autres sans chercher à savoir où ils nous conduisent.
L'essentiel des difficultés que nous rencontrons est dû
au fait que nous vivons au-dessus de nos moyens. C'est ce qui engendre
des maux comme la gabegie, la délinquance financière et
la corruption. Des entraves sérieuses au développement
de nos pays et de notre continent. Et c'est parce que nous nous sommes
reniés et que nous avons rejeté toutes nos valeurs socioculturelles
positives que nous sommes à ce niveau.
-Quels sont les autres thèmes qui vous ont inspiré sur
Sya ?
Mimi : J'évoque les problèmes de société,
je chante l'amour à travers "Sarama" et je rends hommage
à la Femme, surtout aux femmes rurales. Celles-ci méritent
une attention particulière de la part des décideurs et
des partenaires au développement car les problèmes des
citadines ne sont généralement rien à côté
de leurs préoccupations quotidiennes. Leur vie est généralement
un vrai calvaire parce que condamnées à se battre avec
leurs maigres revenus pour survivre. Leurs besoins en santé,
en éducation… en bien-être social sont loin d'être
pris en charge. Pourtant, les ONG passent tout le temps à mobiliser
des sommes colossales en leur nom. Mais personne ne voit l'impact de
leur intervention sur le sort de ces pauvres femmes. Où va alors
l'argent collecté en leur nom ? Je me dis sincèrement
que beaucoup de prometteurs d'ONG profitent de la misère des
femmes rurales pour s'enrichir. Il est temps que cela change. Elles
n'ont pas besoin d'être assistées éternellement,
mais qu'on leur donne les moyens de prendre leur destin et celui de
leur communauté en main.
-Comment avez-vous débuté dans la musique ?
Mimi : J'ai la musique dans le sang. J'ai commencé à chanter
depuis ma tendre enfance. Et petit à petit, j'ai pris goût
à la musique en chantant à l'école et lors des
kermesses. En 1996, des jeunes ont crée un groupe de rap dans
mon quartier (Djélibougou), les Sofas (l'un des premiers groupes
de rap au Mali voire en Afrique de l'Ouest). J'ai fréquenté
ce groupe qui n'a pas fait long feu. Certains membres ont ensuite fondé
le King Da Dja (1997-99) et m'ont fait encore appelle. C'est avec ce
pose que j'ai réellement fait la première vraie scène
de ma carrière. Malheureusement, ce groupe n'a pas eu non plus
longue vie. Je me suis débrouillé ensuite avant que Salif
Kéita ne me fasse appelle comme choriste en 2000. J'ai joué
pour la première fois avec lui à Ouagadougou (Burkina
Faso).
-Vous venez pourtant de rompre avec Salif. Pourquoi ?
Mimi : Je n'aime pas tricher dans le travail. Je ne me sentais plus
en mesure de donner satisfaction à Salif. J'ai donc préféré
rompre en fin 2004. Je n'avais pas assez de temps parce que non seulement
j'étais enceinte (elle est mère d'une charmante fille
qu'elle a eu avec son mari, le rappeur Lassine Coulibaly alias Lassy
King Massassy, NDLR) et j'étais en train de préparer mon
album solo. Je pense que ce sont des raisons objectives qui m'ont poussé
à arrêter. Et je pense que Salif l'a compris ainsi !
-Qu'est-ce que ces quatre années de collaboration avec cette
star de la musique africaine vous ont apporté ?
Mimi : J'ai beaucoup appris avec Salif Kéita. Et sur tous les
plans. D'abord travailler avec Salif est un honneur, un privilège
et une chance pour tout jeune artiste comme moi. Avec lui, j'ai acquis
de l'expérience et je me suis fais plein de relations dans la
vie et dans le show biz. Beaucoup de portes s'ouvrent à moi avec
assez de faciliter. Grâce à lui, j'ai rencontré
une grande partie des rappeurs qui interviennent sur mon album, j'ai
fait la connaissance des stars comme Diana King, Amadou et Mariam, Neneh
Cherry, Cheick Tidiane Seck et j'ai partagé la scène avec
un monstre sacré comme Carlos Santana qui n'a que d'admiration
pour Salif Kéita.
-Comment s'est passé votre rencontre avec Lassy King Massassy,
votre époux ?
Mimi : Nous cohabitions à Djélibougou et nous partagions
la même passion de la musique. King est membre fondateur des Sofas
et des King Da Dja. C'est en partie grâce à lui que j'ai
intégré ce dernier groupe. Nous avions de l'estime l'un
pour l'autre et chacun appréciait ce que faisait l'autre. Et
cette estime a viré à l'amour puis au mariage.
-Le mariage entre deux artistes n'est pas évident. Comment gérez-vous
le vôtre ?
Mimi : J'avoue que cela n'est pas facile, surtout que nous bougeons
beaucoup tous les deux. Au moment où je tournais avec Salif,
nous pouvions faire six mois à un an sans nous voir. On ne se
parlait qu'au téléphone. Si les relations ne sont pas
solides et sincères, elles ne peuvent pas survivre à de
telles séparations. Heureusement, notre amour s'en sortait toujours
fort et passionné.
-Dans ce genre de mariage, qu'est-ce qu'il faut privilégier
surtout ?
Mimi : La confiance ! Comme dans toutes les relations humaines, la confiance
est primordiale. Surtout pour des gens qui vivent loin l'un de l'autre.
Il ne faut jamais avoir des préjugés ou écouter
les ragots. Généralement, les artistes n'ont pas bonne
presse sur le point de vue sentimental. Le plus important, c'est d'être
tranquille avec sa conscience et de se respecter mutuellement.
-Qu'est-ce King a apporté à votre carrière ?
Mimi : Son apport est inestimable. Il m'a beaucoup appris dans le show
biz. Je savais chanter, mais je ne savais rien du rap. Il m'a aidé
à m'intégrer dans le Mouvement Hip Hop en m'apprenant
à rapper. Il m'aide à composer mes chansons, à
écrire mes textes, à faire les rimes… Sans compter
son soutien sans faille en toute circonstance.
-Que représente la musique aujourd'hui pour Mimi ?
Mimi : Tout ! Pour taquiner le Roi (King), je lui dis que la musique
est mon premier mari. Je ne vois pas ma vie sans la musique. Je ne me
vois pas faire autre chose que la musique.
-C'est dire que vous êtes capables de tout plaquer pour la musique
?
Mimi : Evidemment ! Je dois tout à la musique. C'est grâce
à elle que j'ai rencontré mon époux et j'ai parcouru
le monde en faisant de merveilleuses rencontres. Je dois tout à
Dieu, à mes parents et à la musique.
-Le rap est un genre engagé et les rappeurs sont mieux placés
pour sensibiliser les jeunes sur certains fléaux comme la pandémie
du VIH/Sida. Comment réagissez-vous par rapport à cette
pandémie ?
Mimi : Il ne faut pas que les gens se voilent la face pour risquer leur
vie par des comportements irresponsables. Le Sida est une réalité
même si elle fait moins de ravage dans notre pays comparativement
à d'autres. Mais, ne ce n'est pas une raison pour prendre des
risques. Les jeunes ne doivent donc pas accepter de jouer avec leur
vie. Les jeunes filles doivent faire particulièrement gaffe parce
que on constate qu'une grande majorité des personnes infectées
en Afrique sont des femmes. Chacun doit œuvrer davantage à
sensibiliser les gens qui ne croient pas toujours à la réalité
du VIH/Sida. Nous devons prendre des comportements responsables vis-à-vis
de nous-mêmes et à l'égard de ceux qui sont déjà
infectés. Ces personnes ont besoin de toute notre attention et
de toute notre affection. Nous ne devons pas les culpabiliser et les
accabler. Nous devons au contraire les soulager afin de leur permettre
de vivre avec le VIH/Sida sans se sentir discriminer ou stigmatiser.
Nous devons singulièrement nous préoccuper des femmes
affectées et des orphelins de la pandémie afin qu'ils
bénéficient des meilleures prises en charge sur le plan
social et psychologique.
-La prostitution fait le lit du VIH/Sida alors que beaucoup de jeune
filles se prostituent aujourd'hui de façon clandestine. Comment
expliquez-vous cela ?
Mimi : Je suis réellement inquiète de la proportion que
la prostitution clandestine prend dans nos pays, surtout au Mali. Et
ce ne sont pas les filles seulement, même les jeunes hommes se
prostituent de nos jours. Mais, je me garderais de juger ceux qui s'adonnent
à cette perversion. Elles ont leurs raisons. Certaines filles
se justifient par la pauvreté de leurs parents. Ce qui les poussent
à chercher des moyens de survie. Mais, je sais que beaucoup le
font aussi par vice et non par nécessité. Comme je le
disais plus haut, le mimétisme mène à toutes les
perversions. Le plus souvent, on n'a pas besoin de se prostituer pour
avoir le minimum vital. Mais, on est par contre obligé de prendre
des chemins tordus pour vivre au-dessus de ses moyens. Toutes les filles
veulent être "branchées" sans tenir compte des
moyens de leurs parents ou de leurs propres revenus. Cela conduit sur
des pentes glissantes. Par ailleurs, les hommes ont une grande part
de responsabilité dans cette croissance de la prostitution. Le
plus souvent, ils profitent de la cupidité, de la soif du luxe
de ces filles ou de ces garçons pour assouvir leur vice.
-Etes-vous pour ou contre la polygamie ?
Mimi : Je ne pense que le problème se pose en termes de oui ou
non. C'est une question de choix. La monogamie n'est plus un abri sûr
pour les femmes. Combien d'hommes font cette option et entretiennent
pare la suite de nombreuses maîtresses et concubines ? Ils signent
la monogamie pour vous faire plaisir. Mais, dès qu'ils voient
une autre, ils vous délaissent surtout si vous refusez le changement
de statut. Ils sont nombreux que les monogames qui ont de nombreux foyers.
Parce que à défaut d'avoir mieux, beaucoup de femmes se
contentent du mariage religieux. Et généralement elles
vivent mieux que leurs coépouses. Polygamie où monogamie,
l'essentiel dans un couple c'est la compréhension, la communication,
les échanges d'idées, le respect mutuel. A partir de là
tout est négociable.
-C'est dire que vous n'allez pas imposer la monogamie à King
devant le maire ?
Mimi : Je ne pense pas que cela soit vraiment nécessaire. Nous
nous aimons, ça me suffit largement. Le jour où il voudra
prendre une autre épouse, j'espère qu'il aura des raisons
valables de faire. Au rythme où va le monde, je pense que la
monogamie est une question de sagesse, de bon sens et non d'émancipation
féminine.
-Votre mot de la fin ?
Mimi : Je ne peux pas clore cet entretien sans parler d'un fléau
qui appauvrit notre culture et ruine nous les artistes : la piraterie.
Je pense que la fermeture de Mali K7 et de Seydoni Mali (de mars à
mai 2005) ont amené les décideurs à prendre conscience
des proportions inquiétantes que prend ce vol organisé.
Mais, nous devons continuer à sensibiliser surtout les mélomanes.
Le rôle de ceux-ci est important pour combattre la piraterie.
Si tout le monde fait l'effort de payer une cassette légale,
la piraterie va disparaître d'elle-même. Notre société
condamne autant le voleur que celui qui lui achète les objets
volés. Acheter les cassettes piratées c'est comme payer
des objets volés. Il faut que les Maliens comprennent cela. Nous
comptons sur la nation pour nous aider non seulement à vivre
de notre talent, mais aussi à rehausser davantage l'image du
Mali à travers son art et sa culture.
Propos recueillis par Moussa Bolly |