Festival au Désert
Essakane
9, 10 et 11 janvier 2004

 

La magie est affaire d'humains et de nature. A Essakane il n'y a pas eu de décor à planter quelques tentes sous le ciel sur le sable, une petite scène montée pour des instants somptueux, et des musiciens. Une prise de liberté, comme la délivrance d'une retenue d'air frais, pour tous le Festival au Désert fut un allé simple vers l'essentiel, comme une chanson de Django, qui rend belle et humaine la maladresse et exclue l'impolitesse.

A Essakane dans le même cercle, nous avons retrouvé l'impression de secrets partagés entre les Indiens et les Hommes Bleus, comme un espoir sans hasard. Si l'absence de frontière est le véritable destin du monde alors les tribus nomades de la Terre sont les gardiennes d'une parcelle d'essence. Vision romantique peut-être, d'une autre fraternité, avec trois litres d'eau par jour, quarante degrés et zéro la nuit, quelques scorpions, blessures et cicatrices, ni peur ni mal, guitares électriques et groupes électrogènes. Nous avons tous éteint les bougies de Carabosse. Le souffle coupé.

Il y avait des étoiles, des étoiles et encore des étoiles. Sur scène, il y avait des étoiles touareg, des étoiles maliennes, des étoiles mauritaniennes, des étoiles européennes, des étoiles américaines et même une étoile du rock'n'roll. Derrière les scènes, se trouvaient des personnes qui avaient donné des mois de leur temps pour que cela arrive. Touaregs, Maliens, Africains, Américains, Français, Belges, Allemands, Anglais... Chacun d'eux fut une étoile. Tous ceux qui se sont rendus sur le site, qu'ils soient organisateurs ou simplement festivaliers, que leur voyage ait commencé à des milliers de kilomètres de là en Europe ou en Amérique, ou seulement à quelques centaines de kilomètres de là dans les sables perdus du Sahara, qu'ils soient venus en avion, en bus ou en Toyota Land Cruiser, ou à l'ancienne, à dos de chameau... Ils furent tous des étoiles. Il y avait aussi les dunes douces et soyeuses d'Essakane, les acacias d'un vert lumineux, la démarche des scarabées, l'immense ciel bleu, les couchers de soleil dans le silence, les piqûres des "cram-cram". C'était un endroit magique où les étoiles étaient en abondance. La nuit, vous regardiez et le ciel était blanc d'étoiles, sévère, pénétrant, avec Orion qui traversait l'épaisse jungle de la clarté céleste à la recherche de sa proie. On se rassasiait d'étoiles. Mais quand tout le monde s'est rué pour rejoindre l'aéroport de Mopti pour attraper son avion, de Toyota en Toyota qui glissaient sur le sable comme dans un tortueux "remake" du rallye de Monte-Carlo, ou est revenu d'un pas paisible vers son camp, sa maison à Tombouctou, Kidal, Gao, Goundam, Tessalit et Bamako, il n'y eut plus de doute que l'étoile qui avait vraiment pris la vedette, qui avait planté un champ de riches et savoureux souvenirs dans les têtes de ceux qui avaient eu la grande fortune d'y être présent, était l'événement lui-même : le Festival au Désert 2003.

Les nomades ont besoin de se réunir de temps à autre pour prendre des nouvelles, installer des disputes, faire des courses de chameau, de la musique et mélanger leur patrimoine héréditaire. Au sud du désert du Sahara, les Touareg, ou les Kel Tamashek (ceux qui parlent tamashek), comme ils préfèrent être nommés, organisent de tels rassemblements depuis des années. les sévères sécheresses des années 1970 et 80, et les rébellions touareg du début des années 90 dans le nord du Mali et du Niger, ont brisé le rythme traditionnel de la vie nomade. Après 1996, lorsque que près de 3000 armes à feu furent brûlées dans une symbolique flamme "de la Paix", sur une place publique de Tombouctou, les communautés nomades et sédentaires du Sahara du sud cherchèrent des biais pour reconstruire leurs vies en harmonie avec le désert. Efès, une association tamashek dont le but statutaire est de développer le Nord, s'est arrêtée sur l'idée est de revivre ces rassemblements de nomades sur une grande échelle. Au lieu de seulement se réunir en groupes vagabonds de nomades dans un rayon de 300 ou 500 Km autour du festival, ils voudraient projeter et ouvrir l'événement dans toute la région du désert, au Mali tout entier et éventuellement au monde entier. Grâce à l'aide inestimable de certains partenaires européens, particulièrement le groupe Lo'Jo d'Angers en France, et de leur manager Philippe Brix, Efès a organisé le premier Festival au Désert à Tin-Essako, à l'est de Kidal, la capitale du lointain nord-est du Mali, en janvier 2001. Il y eut une éclipse de lune, et la capacité d'émerveillement de chacun s'en trouva accrue. Un an plus tard, un événement plus modeste fut organisé à Tessalit, près de la frontière algérienne, dans les dents d'une tempête de sable.

2003 à Essakane fut cependant une toute différente sorte de merveille. Dans son sincère discours d'ouverture, le célèbre réalisateur malien de film et désormais nouveau Ministre de la Culture, Cheikh Oumar Sissoko, parla de la beauté diverse du Mali et combien le festival l'exprimait. Ce n'était pas un mensonge. Des musiciens bambaras et mandingues venus du sud du pays, pour lesquels Tombouctou et le Sahara étaient une effrayante région à éviter, aussi étrangère que le désert de Gobi, se trouvaient soudain à déambuler sans anxiété ni crainte au milieu de nomades tamashek au regard féroce. La version d'Oumou Sangaré de l'hymne national malien fut bien plus qu'une pièce inconséquente d'un protocole obligé. Ce fut un hymne plein de coeur à la paix et à la prospérité de la nation africaine, unie, dans la musique et dans la fête, en tout cas pour le moment. Ali Farka Touré apporta simplement son sourire qui vous illuminait pendant quarante huit heures, et s'en allait répétant aux uns et aux autres : Je suis très content, très fier !.. Le contingent des trois cent cinquante et quelques non africains glissèrent sur le sol de sable, le chèche bien serré sur la tête pour se protéger de la chaleur de midi, les yeux exorbités par le spectacle qui s'offrait à eux dans toutes les directions les chameliers comme des tours, les femmes Tamashek superbement parées, les dunes tissées de centaines de tentes, les camions et 4x4 qui s'ensablaient, le ciel azur et les horizons ocres. Et puis, la nuit, l'équipe Carabosse, venue de France, peignait les dunes de flamme, créant des lacs de lumières vacillantes à travers lesquels nous trébuchions pour atteindre nos tentes, et aussi le bar accueillant, où vous pouviez avoir la chance de croiser vos héros de musique au cours d'une rencontre impromptue qui n'arrive qu'une fois dans la vie. Et pendant tout ce temps, la musique déferlait de la seule et unique scène par vagues, dans un ordre et une mise en place experts. Pas un groupe ne manqua son concert, aucune performance ne fut décalée organisation admirable pour un festival en Europe, ou aux USA, mais ici! ... Ça laisse abasourdi.

On trouvait des petites boules d'épines appelées "cram-cram" partout dans le sable. Elles s'agrippaient à vos vêtements à chaque opportunité et pire, vous perçaient la peau et y restaient plantées, menaçant de s'infecter. Quelqu'un plaisanta en disant que le prochain festival serait sponsorisé par une célèbre marque américaine de pinces à épiler. Un autre remarqua, avec une acuité pointue, que le paradis ne serait pas le paradis sans au moins un inconvénient universel mais néanmoins mineur. En fait, les "cram-cram" ont servi un dessein très utile : leur petit harcèlement aidait à se souvenir que vous ne rêviez pas, que ce que vous voyiez n'était pas une fantaisie mais la réalité, qu'autant de peuples différents d'origines si diverses pouvaient vraiment se rassembler pour apprécier la musique et la compagnie de chacun, sans aucune suspicion, ni tribalisme, ni méfiance. En fin de compte, vous pouviez citer de nombreuses raisons pour lesquelles cet événement, cette célébration populaire de la note bleue, a été si agréable, en dépit des épreuves pour y parvenir, l'inconfort physique et les "cram-cram". Mais tous ceux qui furent témoins du festival vous diront qu'une sorte de magie indéfinissable passa dans ces dunes près de Tombouctou. D'où venait cette magie ? Peut-être devons-nous le demander aux étoiles..
Andy Morgan Bristol Grande Bretagne

Magic comes from humans and nature.There wasn't any décor to install at Essakane, just a few tents under the sky, a little stage erected on the sand for all those gorgeous moments and the musicians. For all of us, the Festival in the Desert was just a simple step towards something essential, a touch of freedom, like exhaling a lung full of fresh air or like a song by Django, which turns awkwardness and tactlessness into something beautiful and human and excludes impoliteness.

In Essakane, in the same group, we found traces of the secrets which are shared by the Indians and the Blue Men. It was like a ray of providential hope. If our destiny is a world without frontiers, then the nomadic tribes of the earth are guardians of an essential little parcel. A romantic vision perhaps, of another type of brotherhood, with three litres of water a day, forty Celsius at noon and zero at night, a few scorpions, wounds and scars, neither fear nor malice, electric guitars and generators. We all extinguished the candles of Carabosse. The breath taken away.

As for the future, the Touaregs will tell.

There were stars, stars and more stars. On the stage we saw Touareg stars, Malian stars, Mauritanian stars, European stars, American stars and even a bona fide rock and roll star. Behind the scenes there were people who had given up months of their time for free to make it all happen Touaregs, Malians, Africans, Americans, French, Belgians, Germans, English... stars everyone of them. Every person who actually made it to the site, whether they were organisers or just festival goers, whether their journey started thousands of miles away in Europe or North America or only a few hundred miles away in lone and level sands of the Sahara, whether they had come by plane, bus and Toyota Land Cruiser or the old quiet way, by camel... they were aIl stars too. Then there were the sheer and silky dunes of Essakane, the bright green acacia trees, the scuttling scarab beetles, the vast blue skies, the silent sunsets, the needling cram cram. It was a magical place that possessed star quality in abundance. At night, you looked up and the sky was creamy with stars, stern, sharp and breath takingly clear, with Orion crashing through the thick jungle of celestial brightness in search of his prey. You gorged on the stars. But as everyone rushed back to Mopti airport to catch the plane with Toyota after Toyota skating on the superfine sand like some tortuous re-run of the Whacky Races, or returned at a more leisurely pace to their camps, their homes in Timbuktu, Kidal, Gao, Goundam, Tessalit and Bamako, there could be no doubt that the star that really stole the show, that planted a field of rich and luscious memories in the heads of everyone who had the great good fortune to be there, was the event itself : The Festival in the Desert 2003.

Nomads need to come together from time to time to catch up with news, settle disputes, race camels, make music and mix the gene pool. In the southern Sahara desert the Touaregs, or Kel Tamashek (people who speak Tamashek), as they prefer to be known, have been organising such gatherings for centuries. The severe droughts of the 1970s and 1980s, and the Tamashek wars of the early 1990s in northern Mali and Niger broke the traditional rhythm of nomadic life. After 1996, when up to three thousand firearms were burned in a symbolic "Flame of Peace" in a public square in Timbuktu, the nomadic and sedentary communities of the southern Sahara sought ways to rebuild their lives and their desert home. EFES, a Tamashek association whose statutory aim is to develop the north, hit on the idea of reviving the annual get-togethers of the nomads on a grand scale. Instead of just gathering together wandering groups of nomads in a 300 to 500 km radius around a festival site, they would throw the event open to the entire desert region, to the whole of Mali and eventually even to the world. With the invaluable help of certain European partners, notably the group Lo'Jo from Angers in France and their manager Philippe Brix, EFES staged the first Festival in the Desert in Tin Essako, east of Kidal, the capital of the far north-eastern corner of Mali, in January 2001. The moon was eclipsed and so was everyone's capacity for wonder. A year later a second, slightly smaller event was staged in Tessalit near the Algerian border, in the teeth of a sandstorm.

2003 in Essakane, however, was an altogether different order of marvel. The renowned Malian film- maker and now Minister for Culture, Cheikh Oumar Sissoko, spoke in his genuinely moving opening speech of the beauty of Mali's diversity and of how this Festival was the perfect expression of it. He spoke no lie. Bambara and Manding musicians from the south of the country, to whom Timbuktu and the Sahara were feared no-go regions, as alien as the Gobi desert until now, suddenly found themselves walking amongst ferocious looking Tamashek nomads without trepidation or concern. Oumou Sangare's rendition of the Malian national anthem was so much more than an inconsequential piece of enforced protocol. It was a heartfelt hymn to the peace and prosperity of an African nation, united, in music and feasting, for the time being at least. Ali Farka Toure just beamed a forty-eight hour smile and kept repeating over and over, "Je suis très content, très fier!" ('I'm very happy, very proud!'). The three hundred and fifty strong non-African contingent slipped and slid through the flour soft sand, turbans wrapped tightly around their heads to protect them from the midday heat, bug eyed at the visual feast which met their gaze in every direction the towering camel riders, the gorgeously adorned Tamashek women, the dunes interwoven with hundreds of tents, the churning trucks and 4x4 vehicles, the azure sky and the ochre horizons. Then, at night, the Carabosse crew from France painted the dunes with flame, creating lakes of flickering light through which we all stumbled to reach our distant tents, or the welcoming bar, where you might be lucky and catch your musical heroes in the middle of an impromptu and once-in-a-lifetime get-together. And all the white, the music washed over the one and only stage in waves, precisely timed and expert I y managed. Not one group failed to show, not one performance was delayed admirable achievements for a festival in Europe or the US, but here!! It just boggled the mind.

Scattered over and under the sand were tiny spiky little burs called 'cram cram'. They would latch onto your clothes at every opportunity and, even worse, pierce your skin and stay there, threatening to fester and infect. Someone joked that next year's event should be sponsored by a famous manufacturer of tweezers from the USA. Another person remarked, with pinpoint accuracy, that paradise would not be paradise without at least one universal but minor inconvenience. In fact, the cram cram served every useful purpose. Their niggling little jabs helped to remind you that you weren't dreaming, that what you were seeing was not fantasy but reality, that so many different people from such vastly different origins really could come together to enjoy one another's music and one another's company without suspicion or tribalism or wariness. In the end you could cite many reasons why this event, this mass celebration of the blue note, was so enjoyable, despite the challenges of getting there, the physical discomforts and the cram cram, but all who witnessed the event will tell you that some kind of indefinable magic happened in those dunes near Timbuktu. Where did that magic come from? Maybe that's something we need to ask the stars.
Andy Morgan Bristol UK

 
P 03/03/2004