Lobi
Traoré
est né en 1961 à Bakaridianna, sur la rive gauche du fleuve Niger, à
une vingtaine de kilomètres de Ségou. Ses parents, Samba et Nana Djiré,
sont des chanteurs de la société secrète du "komo". Leur fils est donc
devenu directement un "initié" de naissance. D'habitude, dans le komo,
c'est à l'âge mûr que les hommes sont initiés pour devenir de vrais
adultes. Avant la circoncision, le jeune adolescent adhère d'abord au
"komo".
Pendant
trois ou quatre mois, il subit des épreuves difficiles comme celle de
sauter au-dessus d'un feu, de traverser une forêt où vivent lions et
hyènes ou de rester une journée entière sans boire et sans manger. Dans
la seconde phase, celle de l'initiation propre, l'homme passe par des
contrôles de connaissances et de comportements afin de percer le mystère
du "komo". Il prête alors le serment de ne pas trahir la société secrète
et de ne jamais dévoiler ses mystères. C'est pourquoi les Bambaras disent:
"On adhère au komo, on n'en démissionne jamais".
Lobi
Traoré ne peut pas évoquer le komo et si on en parle devant lui,
son visage se vide comme s'il n'avait rien entendu, ce n'est plus la
peine d'insister! Lobi fait pourtant ses
premiers pas dans cette famille d'artistes traditionnels et il en garde
une façon d'aborder la musique comme une évidence jamais remise en cause.
A 16 ans, il traverse le fleuve et débarque à Ségou pour intégrer un
orchestre folklorique en tant que chanteur du répertoire bambara. Il
part ensuite pour Bamako et joue dans une autre formation du même style
avant de rencontrer son premier maître musical qui lui offre une guitare.
Trois ans après, il découvre le Djata
Band, l'orchestre de Zani
Diabaté qui fait alors fureur à Bamako, un des premiers orchestres
maliens qui tournera en France dès le début des années 80, où il deviendra
là aussi le chanteur du répertoire bambara (le Mali compte de nombreuses
ethnies et dans chaque formation musicale d'importance il y a souvent
plusieurs chanteurs pour toucher le public de chaque ethnie, qu'il soit
bozo "les pêcheurs", peuhl Ie peuple des gardiens de troupeaux ou songhai
ceux de la région de Tombouctou.
Quand Lobi Traoré commence une carrière
solo, il joue dans les mariages et les bars. C'est au Bozo
un bar de Bamako célèbre pour sa bière, un haut lieu de la musique malienne
qui n'existe plus aujourd'hui, que le public le découvre et apprécie
son blues bambara au début des années 90. Depuis, il a enregistré trois
albums et fait de nombreuses tournées en Europe, au Canada et en Afrique.
Il a aussi rencontré Vincent Bucher, l'harmoniciste
de blues parisien, qui l'accompagne maintenant régulièrement et qui
a participé à l'élaboration de l'album Duga.
Quand
le blues de Bamako rencontre le blues de Chicago...
Lors de sa tournée en France au mois de mai 1996, Lobi
Traoré invitait Vincent Bucher à
monter sur la scène du New Morning à Paris avec son harmonica et ils
jouèrent ensemble comme s'ils avaient toujours rêvé de monter un groupe
: "Plongés dans un superbe dialogue, le guitariste-chanteur et l'habile
joueur d'harmonica ont tissé une musique prenante comme un blizzard
que le Sahel aurait capturé"
(Véronique Mortaigne dans Le Monde du 17 mai 96).
Cette rencontre est maintenant devenue un trio avec un joueur de calebasse
pour asseoir le tempo. Lobi Traoré s'est
fait remarquer en jouant ses ballades lancinantes dans les bars de Bamako.
Ses chansons, qu'il qualifie de "chants orphelins, mélancoliques",
en font un bluesman sans le savoir...
Début 1994, il a rassemblé autour de lui trois percussionnistes (calebasse,
djembé, bongolo) et mélangé tradition et sonorités modernes pour enregistrer
"Bamako". Un album produit sous la direction artistique d'Ali
Farka Touré qui était bientôt sélectionné parmi les meilleurs albums
de l'année (sélection "rock" dans Libération et "Musiques du Monde"
dans Le Monde).
Puis Lobi Traoré partait avec la "Caravane
Africolor" pour une série de concerts en Allemagne, Belgique, Hollande,
Suisse et France et poursuivait le périple dès janvier 1995 par une
tournée de 5 semaines en Afrique de l'Ouest d'Abidjan à Dakar. Au printemps
1996, sortie de "Ségou" son troisième album toujours enregistré
à Bamako avec la même équipe et nouvelle tournée (participation notamment
au Africa Festival de Würzburg et à Musiques Métisses d'Angoulème...).
Vincent
Bucher débute à l'harmonica à l'âge de seize ans en découvrant
le blues. Il fera ses premières armes dans les rues et les métros parisiens
où il rencontre l'harmoniciste afro-américain Sugar
Blue qui sera le premier à le faire monter sur scène. En s'initiant
peu à peu au circuit des clubs et des concerts, il monte le groupe Hot'Cha
qui accompagnera nombre de bluesmen américains dans le cadre des tournées
Chicago Blues Festival (Luther Allison,
Jimmy Johnson, Eddie
Shaw...) et joue en duo avec le chanteur de blues du Mississipi
Louisiana Red.
Dans les années 80, Vincent Bucher collabore
aussi très régulièrement avec des bluesmen hexagonaux tels Patrick
Verbecke, Paul Personne et Bill
Deraime avec qui il jouera régulièrement. Son travail avec Tao
Ravao, Soul Razafindrakoto ou Marcel
Bloud lui ouvrira les portes vers les blues d'autres latitudes
(malgaches, africaines et caraïbéennes).
L'aspiration de Vincent Bucher est de faire
sonner ce petit orgue à bouche dans ces musiques d'origines différentes
mais de racines communes. Ce trio avec Lobi Traoré
est donc le prolongement logique de sa carrière pour créer la rencontre
entre blues Bambara et blues de Chicago. |