MALI
K7, L'USINE
À RÊVE
Un Français à la tête de l'entreprise malienne
Paris, le 17 janvier 2002 - Après avoir été le disquaire lyonnais branché
punk-rock au début des années 80, Philippe Berthier s’est installé à
Bamako, il y a un peu plus de dix-huit ans. Il y a monté la seule structure
de distribution et de reproduction de cassettes du pays, ainsi qu’un
studio d’enregistrement avec l’aide d’Ali Farka Touré. Grâce aux arrangements
d’Yves Wernert, ancien bassiste nancéen, MALI K7 a lancé tous les artistes
maliens qui ont tenté l’aventure afro-électro et notamment Issa Bagayogo,
surnommé "Techno Issa" au Mali. Visite...
Au
bout d’un petit chemin de terre, « derrière le goudron et la station
Shell », un petit panneau jaune et bleu indique modestement la direction
de l’unique usine de cassettes du Mali, Mali K7. Ici, point de stock
à perte de vue, de bureaux flambants neufs ou d’objets promotionnels.
Une simple bâtisse abrite les machines de pressage de cassettes et de
pochettes (souvent fignolées à la main), les bureaux, le magasin et
l’accueil de Mali K7, la maison de disques du célèbre Ali Farka Touré,
de Lobi Traoré ou encore de Neba Solo.
Un
vieux poste crachotte un hit d’Alpha Blondy, repris par la personne
de l’accueil, occupée à découper des pochettes de cassettes, sous des
posters d’Oumou Sangare. A 850F CFA la cassette (soit 8,50 francs, 1,30
euros ), il faut faire simple et efficace. Depuis 1992, les prix n’ont
pas bougé malgré la déflation du franc CFA et l’augmentation du prix
des matières premières (courant électrique, papier).
De
l’autre côté de la route, s’échappent les mélopées électro-traditionnelles
de Moussa Koné (guitariste d’Ali Farka Touré) qui répète avec Issa Bagayogo,
au Studio Bogolan, le studio de Mali K7 monté par Philippe Berthier.
Depuis une quinzaine d’années, ce Lyonnais a vu la production musicale
du pays évoluer. Plusieurs studios se sont construits. Des producteurs
maliens et étrangers sont arrivés. De plus, un bureau de droits d’auteurs
affilié à la SACEM (Société française des Auteurs, Compositeurs et Editeurs
de Musique) a été créé. Mais les acteurs du marché musical ne reçoivent
toujours aucune aide à la production.
Si la société ne produit aujourd’hui que six à sept albums par an, elle
distribue en revanche tous les artistes maliens (soit une vingtaine
de nouveaux albums chaque mois), et fournit aux marchés, les albums
des stars étrangères du moment (Janet Jackson ou Mariah Carey, Whitney
Houston) dont il assure la distribution locale.
Rencontre avec le chef d’une entreprise musicale où une quinzaine de
personnes pressent les rêves de beaucoup de Maliens…
Comment un
Lyonnais se hisse-t-il à la tête de la production des cassettes du Mali
?
Je suis venu par hasard au Mali, en 1982, pour voir des amis. Lorsque
je suis rentré à Lyon où j’avais des magasins de disques punk-rock,
j’ai eu le blues : je voulais vivre en Afrique. J’ai pris la route en
voiture pour traverser l’Europe et le Nord de l’Afrique. Je suis resté
trois mois en Algérie et je suis arrivé à Bamako en janvier 1985. J’ai
d’abord travaillé dans une grosse entreprise française avec l’idée de
monter une structure ici. Je suis parti quelque temps travailler au
Zaïre, puis je suis rentré en France, acheter du matériel pour monter
un studio. Fin 1988, j’ai donc monté le premier studio d’enregistrement
multipistes du Mali, à Bamako. Avant, le pays ne disposait que du studio
deux pistes de l’ORTM, la radio nationale malienne. Puis, il a fallu
aussi créer une structure qui puisse fabriquer des cassettes. Sur le
marché, il n’y avait que des cassettes pirates qui venaient de l’étranger.
Un an plus tard, j’ai donc monté une structure de reproduction de cassettes
qui s’appelait Oubien Productions. En 1992, on s’est associé avec la
maison de disques EMI qui avait aussi des filiales en Côte d’Ivoire,
au Nigeria… mais elle s’est totalement retirée du continent (sauf en
Afrique du Sud) en 1995. A cette époque, je me suis donc associé avec
Ali Farka Touré, qui venait de recevoir un Grammy Award, pour monter
Mali K7.
Votre
plus gros problème reste la piraterie. N'étiez vous pas près de fermer
boutique à cause de la cela ?
Fin 1999, on a été obligé de fermer Mali K7 pendant un mois et demi
parce qu’on était au chômage technique. Cela a créé une crise nationale
! Je suis passé au journal télévisé, les artistes ont fait une marche
et sont allés voir le Premier ministre de l’époque, il y a eu une grande
conférence nationale entre producteurs, artistes, policiers, douaniers.
Cela n’a pas réglé tous les problèmes, mais cette crise a permis une
prise de conscience.
Depuis un an, il y a un léger mieux parce que la douane a décidé d’appliquer
des règles strictes à tous les produits qui entrent au Mali. Cela a
permis de faire baisser la piraterie. Nous avons même coincé un pirate
à qui l’on a fait un procès avec une quinzaine d’artistes. Nous l’avons
gagné, mais la procédure est actuellement en appel.
Qu’est
ce qui a changé dans le paysage musical malien depuis votre arrivée
?
Le Mali est un pays où il y beaucoup d’artistes et beaucoup de styles
différents du Nord au Sud, entre la musique tamachek, ou wassoulou,
mandingue, peule, ou dogon. La musique du Nord marche beaucoup plus
à l’extérieur du Mali que dans le pays, mais il y a beaucoup d’autres
styles qui ne sont pas connus à l’étranger.
Quand je suis arrivé, la grosse tendance c’était les griots, alors qu’aujourd’hui
ces productions ne représentent plus la majorité de ce qui sort au Mali.
La musique a évolué : il y a de nouveaux styles comme le hip hop, la
musique électronique d’Issa Bagayogo ou Nahawa Doumbia. Il y a de plus
en plus de gens qui cherchent à innover. Je pense que c’est un peu nous
qui avons fait bouger les choses grâce à notre studio, et parce que
nous avons fait découvrir d’autres musiques aux gens.
Au sein de
ce riche vivier musical, comment choisissez-vous les artistes que vous
produisez ?
Nous distribuons des centaines d’artistes, mais nous n’en produisons
qu’une dizaine par an. On cherche des talents originaux bien sûr, mais
aussi des gens capables de créer un nouveau son et de s'ouvrir. On a
par exemple une jeune chanteuse dogon, Dene Issebere, qui touche à différents
styles. Un de mes projets serait de faire une musique dogon moderne.
La
promotion des artistes est-elle facile ?
C’est beaucoup plus facile qu’en France car il n’y a qu’une seule télévision
et très peu de radios, donc on se connaît facilement. Ce sont plutôt
eux qui sont demandeurs de musiques. Il est donc très aisé de faire
passer un artiste à la télévision, à la radio ou dans la presse. Ce
qui est plus compliqué, c’est de développer la carrière de nos artistes
à l’international. C’est pour cela que je vais au MIDEM tous les ans,
grâce à l’Agence Internationale de la Francophonie. Cela m’a permis
de sortir des titres sur des compilations étrangères et surtout de signer
un contrat international avec le label américain Six Degrees pour Issa
Bagayogo, par exemple.
Quelles
sont vos meilleures ventes actuellement au Mali ?
Cette année, nous avons vendu environ 900.000 cassettes. Celles qui
ont le mieux marché sont celle d’Oumou Sangare (plus de 100.000 exemplaires,
c’est la plus grosse vente de tous les temps au Mali), celle de Ramata
Diakité (80.000) et celle d’une griotte qui faite fureur en ce moment,
Mah Kouyaté (80.000).
Sur
quels points de ventes distribuez-vous vos cassettes ?
Nos cassettes sont essentiellement distribuées par le secteur informel,
dans des petites boutiques ou sur les marchés. Mais à Bamako, un vrai
magasin de disques, Musicland, vient d’ouvrir. Il est situé en centre
ville. Là, on peut acheter des erotic disques et des cassettes. C’est le seul
endroit où l’on peut acheter les Beatles comme Amy Koita. On y trouve
aussi des CDs, qui se vendent de plus en plus… mais ils sont aussi souvent
piratés.
Elodie
Maillot |