Boubacar Traoré "Kar Kar"
 

 

Dans les années soixante, les maliens se réveillaient chaque matin au son de sa voix mélancolique à la radio qui chantait l'indépendance. Kar Kar, on l'appelait "blouson noir" et chaque malien de sa génération se rappelle avoir dansé sur ses tubes "Mali Twist" et "Kayeba" dans lesquels il incitait ses compatriotes à revenir et construire le pays.

II était le Chuck Berry, l'Elvis Presley malien, mais sa musique étant uniquement diffusée par la radio, Il n'avait pas d'argent en poche pour acheter des cigarettes. Il travaillait comme tailleur, commerçant et agent agricole, tout en entraînant des orchestres le soir et en chantant pour ses intimes.

Quand, en 1987, la télévision l'invite enfin en studio, les maliens n'en reviennent pas, tout le monde le croyait disparu. Deux ans plus tard, un drame le frappe, Pierrette, sa femme aimée qu'il chante dans ses plus douces chansons, meurt. Désorienté, le coeur lourd, Il part en France pour travailler. Les week-ends Il chante dans les foyers.

Sa carrière prend un nouvel élan Londres le découvre, il y enregistre deux disques, "Mariama" et "Kar Kar" Il donne des concerts en Angleterre, en Suisse, au Canada et aux Etats-Unis. Le studio Bogolan à Bamako, à l'initiative de la "Revue Noire", produit son troisième disque "les enfants de Pierrette", avec la participation des grands de la musique malienne comme Ali Farka Touré, Toumani Diabaté et Kélétigui Diabaté.

Après une absence de vingt ans de la scène, Boubacar Traoré a ressuscité des cendres de sa propre vie. C'est tellement peu évident qu'il chante encore, et pourtant il est là comme s'il n'avait jamais rien fait d'autre.
Fidèle à ses racines, il est allé chercher, pour l'enregistrement de ce nouvel album (chez Indigo), Baba Dramé, complice et ami d'enfance, dans sa ville natale de Kayes pour l'accompagner à la calebasse. Dans la chanson titre "Sa Golo", ils sont dans le Kayes d'antan où des sorciers aux habits cliquetants faisaient vibrer l'air nocturne.

Boubacar Traoré est de ses hommes solides qui reflètent l'histoire d'un pays, les espoirs et les désespoirs d'un peuple. Quelle grâce qu'il ait gardé sa voix, et qu'une chanson comme "Soundiata", qui a fait rêver toute une génération, soit enfin enregistrée. Quelle chance de retrouver cet enfant de l'indépendance malienne mûriet, malgré toutes ses mésaventures, proche des petits plaisirs de la vie.
Pas de Mercedes ni de villa aux lustres dorés pour ce bluesman malien, mais une mobylette et une concession dans les collines de Bamako où il vit avec les enfants de Pierrette et où, le soir, il prend sa guitare et chante sur le monde qui l'entoure.

Lieve Joris

 
P 03/03/2004