On
rencontre dans le monde mandingue diverses harpes à chevalet (également
appelées harpes-luths, ce qui semble moins pertinent) comme le donson
n'goni des chasseurs du Wassoulou ou son
dérivé récent, le kamélé
n'goni, les deux harpes étant montées de six cordes. En
Guinée, on trouve également une harpe à chevalet à quinze ou dix neuf
cordes, le soron, mais aussi le kasso, en Gambie, le ko à six ou sept
cordes chez les Dan de Côte d'Ivoire, le duu à six cordes chez les Guéré,
également en Côte d'Ivoire, le sanku en Haute Guinée, le simbing
à cinq à neuf cordes, associé aux chasseurs en Gambie et au Sénégal,
où il est joué par les Mandenka et les Diola (Mungo Park en évoque une
variante à sept cordes au Mali).
Les
harpes à chevalet ont également été adoptées par certaines populations
voisines des Mandingues. On peut citer le konchuhun à sept cordes des
Gwin du Burkina Faso, le kondene des Yalunka de Guinée et de Sierra
Leone, le gingiru des Dogon, ou le kori à six cordes des Sénoufo de
Côte d'Ivoire. On trouve même une harpe à chevalet à six cordes, le
seperewa, chez les Ashanti du Ghana.
La première description de la plus raffinée de ces harpes, la kora,
se trouve dans le livre d'un explorateur écossais, Mungo Park, qui voyagea
de 1795 à 1797, principalement dans ce qui est l'actuel Mali. "J'ai
à ajouter une liste de leurs instruments de musique dont les principaux
sont le kounting,
espèce de guitare à trois cordes ; le korro,
grande harpe à dix-huit cordes; le simbing,
petite harpe à sept cordes ; le balafon,
instrument composé de vingt morceaux de bois dur, au-dessous desquels
sont des gourdes coupées en forme de coquilles qui en augmentent le
son; le tang-tang, tambour qui est ouvert à son extrémité inférieure
; et enfin le tabala, grand tambour qui s'emploie généralement pour
répandre l'alarme dans le pays."
Cette korro, devenue kora,
est maintenant communément montée de vingt-et-une cordes. Elle est sans
doute relativement récente (certains auteurs parlent de trois cents
ans) puisque Mungo Park est le premier à la décrire, alors que des xylophones
avaient déjà été observés par Ibn Battûta, le grand voyageur arabe,
qui visita la cour du Mali en 1352. On pense que la kora
est apparue dans l'actuelle Guinée-Bissau et qu'elle serait associée
aux Princes guerriers Nyencho de Kabu.
La Gambie est actuellement renommée pour la qualité des ses korafolaw
(Sidiki Diabaté
et DjeIimadi Sissoko, devenus Maliens, étaient eux-mêmes
d'origine gambienne).
On
raconte que l'instrument devint populaire au milieu du XIXe siècle grâce
à Koriyang Musa, un disciple du légendaire Jali (griot)
Madi Wuleng, dont le jatigui, le patron, était le héros malinké Kelefa
Same. Sous sa forme actuelle, la kora
a généralement vingt -et -une cordes en nylon réparties en deux rangées
parallèles sur un chevalet perpendiculaire à la table d'harmonie en
peau de vache. Celle-ci est tendue sur une demi calebasse traversée
par un manche cylindrique en bois de santal, ou parfois en acajou. Deux
baguettes situées de part et d'autre du manche permettent au musicien
de tenir l'instrument dont les cordes sont jouées avec le pouce et l'index
de chaque main. Un trou, jouant le même rôle qu'une ouïe de violon,
est percé dans la caisse de résonance. Il permet également d'y mettre
les cordes de rechange et les auditeurs y glissent volontiers des billets
de banque pour récompenser le musicien.
La
kora connaît
quatre accordatures principales, toutes heptatoniques. Tomora ba (le
grand tomora, appelé également sila ba, le grand chemin) est le plus
proche de la gamme tempérée occidentale : fa, sol, la (un peu bas),
si bémol, do, ré, mi (un peu bas), fa.
Deux autres accordatures, hardino (fa, sol (un peu bas), la, si bémol,
do, ré (un peu bas), mi, fa, et tomara mesengo (fa, sol (un peu haut),
la bémol (un peu haut), si bémol, do, ré (un peu haut), mi bémol (un
peu haut), fa, peuvent être considérées (selon Susan Gunn Pevar ) comme
des variantes symétriques qui donnent une couleur différente à l'échelle
de base : dans l'échelle hardino les intervalles entre la seconde et
la tierce et entre la sixte et la septième sont agrandis, alors qu'ils
sont rétrécis dans l'échelle tomora mesengo.
L'échelle sauta (fa, sol (un peu bas), la, si, do, ré (un peu bas),
mi, fa) est dérivée de hardino, en transformant la quarte en quarte
augmentée. Selon Roderick Knight , "hardino est virtuellement identique
à la gamme majeure occidentale, bien que la septième et la tierce soient
parfois plus hautes que dans cette dernière."
Chaque morceau est constitué d'un thème principal, kumbengo, à partir
duquel le musicien effectue des variations, birimitingo. Les pouces
servent généralement à jouer les basses, alors que les index jouent
la mélodie.
Dans
ces enregistrements, les titres 1,2,3, 4, 6 et 12 utilisent l'accordature
sila ba, les titres 8,10 11 et 13 sont en sauta, alors que pour les
titres 5,7 et 9, Sidiki Diabaté
est accordé en sila ba et Batourou Sékou Kouyaté
en sauta.
En
1977, à Paris, le Festival d'automne organisait un programme africain
présentant au Cirque d'Hiver une troupe malgache, le théâtre musical
Hira-Gasy, ainsi que les ballets Ekonda du Zaïre et aux Bouffes du Nord,
un joueur de sanza zaïrois, Elanga N'Kake.
Le concert qui devait le plus marquer les amateurs parisiens était cependant,
aux mêmes Bouffes du Nord, celui qui réunissait les deux plus grands
korafolaw de l'époque, Sidiki Diabaté
et Batourou Sékou Kouyaté, ainsi
que deux djelimoussolou (griottes), Mariam
Kouyaté et Wandé Kouyaté.
Le public stupéfait découvrait l'univers inouï d'une musique de cour
extrêmement raffinée, un instrument encore presque inconnu (le microsillon
qui fait l'objet de cette réédition n'ayant pas encore été distribué
en France) ainsi qu'une société dont il ignorait tout. Les travailleurs
maliens s'étaient déplacés nombreux et le public européen découvrait
ceux qu'il croisait quotidiennement, souvent éboueurs ou balayeurs de
rue, transformés en princes du sang, qui distribuaient avec prodigalité
leur maigre salaire aux musiciens et aux chanteuses qui célébraient
leur lignage, offrant montre ou bijoux lorsqu'ils avaient donné tout
leur argent. L'immigration malienne s'est beaucoup développée depuis
cette époque (on dit que Montreuil est la troisième ville malienne par
l'importance de sa population) et nous sommes maintenant habitués à
entendre des joueurs de kora,
en concert ou dans les restaurants. Nous sommes cependant toujours restés
sous le charme de cette première rencontre avec l'univers mandingue,
et plus particulièrement celui des djéliw,
les griots, dont le
présent enregistrement présente l'expression artistique la plus accomplie.
"Cordes
anciennes", le premier disque uniquement consacré à la kora,
a été édité pour la première fois en 1970.
Henri Lecomte
Remerciements àJean Jacques Avenel et à Yakouba Sissoko.
Texte original du microsillon : Première anthologie de la
musique malienne cordes anciennes
Barenreiter Musicaphon BM 30 L 2505. Mali Music.
Production du Ministère de l'information.
Les plages 12 et 13 sont extraites du microsillon "Le Mali des steppes
et des savanes. Les Mandingues"
Barenreiter Musicaphon BM 30 L 2501
Batourou
Sékou Kouyaté (Kouyaté
: il y a un secret de toi à moi) et Sidiki
Diabaté (Diabaté :
personne ne peut te refuser quelque chose) sont nos meilleurs joueurs
de kora.
Issus des deux grandes familles de griots
du Mali, ils perpétuent un art séculaire.
Nos sondages d'opinion ont prouvé qu'on ne peut aimer l'un sans l'autre.
Mais on peut dire que Batourou Sékou
qui s'exprime dans le style mandeka est plus intellectuel, plus aérien.
Tandis que la musique de Sidiki
Diabaté, aède du pays de Kanbia, réveille le sang.
L'un s'adresse à l'esprit, l'autre au corps.
Au temps qui vit naître l'épopée de Sunjata, de Da Monzon, d'El Hadj
Omar ou de Samory, temps de reconquêtes, Sidiki
Diabaté aurait suivi les guerriers au champ de bataille,
et le soir, Batourou Sékou Kouyaté
leur aurait donné plus de coeur.
Mali : Cordes Anciennes
Koras : Sidiki Diabaté, Batourou Sékou Kouyaté, Djelimadi Sissoko, N'Fa
Diabaté
Collection Musique du Monde
Production Ministère de l'Information du Mali / Licence Syllart Production
Distribution BUDA Records 1977822
Photos : (D.R.) Marcel Thuillier
www.budamusique.com
buda@imaginet.fr |