Rokia
Traoré, Artiste
"Le droit d’auteur sera respecté si les mentalités
évoluent"
La jeune
star du Bélédougou, Rokia
Traoré, vient de séjourner au pays. Elle avait invité
pour animer la cérémonie de clôture de la biennale
artistique et culturelle avec Habib
Koité. Nous avons profité de l’aubaine pour discuter
avec cette artiste, résolument engagée contre la piraterie,
sur le verdict rocambolesque de la cour d’appel dans l’affaire
qui oppose elle et certain de ses collègues à un importateur
de cassettes. Elle nous a livré ses sentiments après ce
verdict. Interview
Le Reflet : - Qu’est-ce qui vous a motivé à accepter
de venir animer la cérémonie de clôture de la biennale
artistique et culturelle ?
Rokia : Le plaisir de jouer
devant un public malien, car je n’ai pas souvent cette opportunité.
C’est avec beaucoup d’émotion que je me suis retrouvée
au Stade Modibo Kéita devant tant de Malien. J’étais
aussi fière de pouvoir apporter ma modeste contribution à
la réussite de cette manifestation artistique et culturelle qui
est un tremplin pour l’éveil et l’épanouissement
de la jeunesse malienne. Je n’ai évidemment jamais participé
à la biennale puisqu'elle reprend après une quinzaine d'années
d'arrêt.
- Tu
viens de perdre, avec d’autres artistes et Mali K7, ton procès
contre un importateur de cassettes piratées. Comment avez-vous
accueilli cet arrêt de la cour d’Appel ?
J’ai été très déçue par cet arrêt
scandaleux. Je pense que le problème du non-respect des droits
de l’artiste est très profond. Pour que l’on respecte
nos droits, il faut déjà que les efforts intellectuels que
nous fournissons soient respectés et que les œuvres qui naissent
de ces efforts soient reconnues comme nos propriétés. Qu’est
ce qu’un musicien finalement ? Qu’est ce qu’une chanteuse,
un chanteur ? Pour la majorité des Maliens, nous sommes ceux qui
doivent distraire les gens respectables. Nous devons leur dire et leur
chanter leur grandeur. Nous sommes à leur service à condition
qu’ils nous donnent de quoi vivre au jour le jour. Pour le moment
nous n’avons pas droit à plus que les sous qu’on nous
donne lorsqu’on est content de nous. Le droit d’auteur sera
respecté, les artistes seront traités avec un peu plus d’égard,
le jour ou la mentalité malienne, y compris celle de nos dirigeants,
par rapport à l’artiste et son art, changera. Et nous ne
perdrons plus de procès de ce genre, le jour où l’on
aura conscience du fait que c’est à travers les artistes
et leurs œuvres que le Mali offre son image la plus positive.
- Quelles
étaient vos attentes par rapport à ce procès ?
J’avoue que je n’avais pas grand espoir, je connais mon pays
et sa justice. Je savais qu’il y avait une justice pour les riches
et une pour les pauvres. Cependant, j’espérais avoir une
surprise agréable.
- Quelles
peuvent être les conséquences d’une telle décision
judiciaire sur le combat contre la piraterie ?
Cette décision judiciaire donne en fait le droit à toutes
sortes de commerçants de s’approprier nos œuvres et
de les commercialiser sans avoir d’accord de notre part. Cette décision
judiciaire signifie, qu’au Mali l’œuvre musicale ne peut
être considérée comme une propriété
et, de manière plus générale, il faut faire passer
le concept de propriété intellectuelle dans nos esprits.
- Que
comptez-vous faire maintenant pour éviter d’être davantage
submergés par le fléau ?
On n’a plus que le pourvoi en cassation pour que cette décision
catastrophique pour la lutte contre la piraterie soit annulée.
Et l’espoir que notre actuel ministre de la culture saura changer
des choses pendant qu’il est en mesure de le faire en étant
aux affaires.
- Comptez-vous organiser une autre marche contre la piraterie et le
laxisme des autorités face au fléau ?
Je ne pense malheureusement pas avoir assez de temps pour convaincre les
artistes maliens qu’une seconde marche servirait à quelque
chose. Nous pension que la marche de février 2000 avait suffi à
sensibiliser les autorités sur l’ampleur du fléau
et ses conséquences sociales et économiques désastreuses.
Mais, il faut rendre à l’évidence, nous sommes encore
à la case départ dans cette lutte contre la piraterie.
- Par
rapport à ce combat, ne pensez-vous pas qu’il est temps d’aller
au-delà des discours mielleux et des journées de réflexion
pour passer à l’action directe contre les pirates ?
Je suis tout à fait d’accord avec vous. Mais, faut-il croire
finalement que le gouvernement malien a plutôt une politique de
protection du pirate et du fonctionnaire véreux ou inefficace du
bureau de droit d’auteur malien.
- Comment
Bowboï a-t-il été accueilli en Europe ?
Les premiers échos venant des médias qui ont reçu
les CD de promotion sont satisfaisants et réconfortants. L’album
sera en vente dans les magasins à partir du 26 septembre prochain
(aujourd’hui vendredi). La sortie aux Etats-Unis et en Amérique
du Nord se fera au printemps prochain. Entre temps, je serai en tournée
européenne avec le groupe en octobre et novembre. La promotion
de l’album se passe donc très bien.
- Votre mot de la fin ?
Je remercie les organisateurs de la biennale de m’avoir permis d’apporter
ma modeste contribution à cette manifestation. Je prends cela comme
une marque de confiance et une reconnaissance du pays. Je demande à
tous ceux qui veulent réellement que l’art et la culture
du Mali contribuent au développement du pays, de rester mobilisés
derrière Cheick Oumar Sissoko (le ministre de la Culture). C’est
le cadre qu’il fallait à ce département. Et il ne
cesse de prouver qu’il a l’ambition de faire de la culture
un tremplin pour le développement du Mali. Malheureusement, certains
veulent déjà lui mettre les bâtons dans les roues.
Nous, les artistes, venons de nous réunir pour voir comment nous
pouvons soutenir ses actions. Et nous sommes convenues d’une pétition.
Cette initiative sera mise en œuvre par Kandia
Kouyaté. Nous invitons tous les créateurs et tous les
patriotes à signer cette pétition.
Propos recueillis
par Moussa Bolly |