Tribune / Presse
Article paru dans
N° 376 du 26/09/2003

Rokia Traoré, Artiste
"Le droit d’auteur sera respecté si les mentalités évoluent"

La jeune star du Bélédougou, Rokia Traoré, vient de séjourner au pays. Elle avait invité pour animer la cérémonie de clôture de la biennale artistique et culturelle avec Habib Koité. Nous avons profité de l’aubaine pour discuter avec cette artiste, résolument engagée contre la piraterie, sur le verdict rocambolesque de la cour d’appel dans l’affaire qui oppose elle et certain de ses collègues à un importateur de cassettes. Elle nous a livré ses sentiments après ce verdict. Interview


Le Reflet : - Qu’est-ce qui vous a motivé à accepter de venir animer la cérémonie de clôture de la biennale artistique et culturelle ?

Rokia : Le plaisir de jouer devant un public malien, car je n’ai pas souvent cette opportunité. C’est avec beaucoup d’émotion que je me suis retrouvée au Stade Modibo Kéita devant tant de Malien. J’étais aussi fière de pouvoir apporter ma modeste contribution à la réussite de cette manifestation artistique et culturelle qui est un tremplin pour l’éveil et l’épanouissement de la jeunesse malienne. Je n’ai évidemment jamais participé à la biennale puisqu'elle reprend après une quinzaine d'années d'arrêt.

- Tu viens de perdre, avec d’autres artistes et Mali K7, ton procès contre un importateur de cassettes piratées. Comment avez-vous accueilli cet arrêt de la cour d’Appel ?
J’ai été très déçue par cet arrêt scandaleux. Je pense que le problème du non-respect des droits de l’artiste est très profond. Pour que l’on respecte nos droits, il faut déjà que les efforts intellectuels que nous fournissons soient respectés et que les œuvres qui naissent de ces efforts soient reconnues comme nos propriétés. Qu’est ce qu’un musicien finalement ? Qu’est ce qu’une chanteuse, un chanteur ? Pour la majorité des Maliens, nous sommes ceux qui doivent distraire les gens respectables. Nous devons leur dire et leur chanter leur grandeur. Nous sommes à leur service à condition qu’ils nous donnent de quoi vivre au jour le jour. Pour le moment nous n’avons pas droit à plus que les sous qu’on nous donne lorsqu’on est content de nous. Le droit d’auteur sera respecté, les artistes seront traités avec un peu plus d’égard, le jour ou la mentalité malienne, y compris celle de nos dirigeants, par rapport à l’artiste et son art, changera. Et nous ne perdrons plus de procès de ce genre, le jour où l’on aura conscience du fait que c’est à travers les artistes et leurs œuvres que le Mali offre son image la plus positive.

- Quelles étaient vos attentes par rapport à ce procès ?
J’avoue que je n’avais pas grand espoir, je connais mon pays et sa justice. Je savais qu’il y avait une justice pour les riches et une pour les pauvres. Cependant, j’espérais avoir une surprise agréable.

- Quelles peuvent être les conséquences d’une telle décision judiciaire sur le combat contre la piraterie ?
Cette décision judiciaire donne en fait le droit à toutes sortes de commerçants de s’approprier nos œuvres et de les commercialiser sans avoir d’accord de notre part. Cette décision judiciaire signifie, qu’au Mali l’œuvre musicale ne peut être considérée comme une propriété et, de manière plus générale, il faut faire passer le concept de propriété intellectuelle dans nos esprits.

- Que comptez-vous faire maintenant pour éviter d’être davantage submergés par le fléau ?
On n’a plus que le pourvoi en cassation pour que cette décision catastrophique pour la lutte contre la piraterie soit annulée. Et l’espoir que notre actuel ministre de la culture saura changer des choses pendant qu’il est en mesure de le faire en étant aux affaires.

- Comptez-vous organiser une autre marche contre la piraterie et le laxisme des autorités face au fléau ?
Je ne pense malheureusement pas avoir assez de temps pour convaincre les artistes maliens qu’une seconde marche servirait à quelque chose. Nous pension que la marche de février 2000 avait suffi à sensibiliser les autorités sur l’ampleur du fléau et ses conséquences sociales et économiques désastreuses. Mais, il faut rendre à l’évidence, nous sommes encore à la case départ dans cette lutte contre la piraterie.

- Par rapport à ce combat, ne pensez-vous pas qu’il est temps d’aller au-delà des discours mielleux et des journées de réflexion pour passer à l’action directe contre les pirates ?
Je suis tout à fait d’accord avec vous. Mais, faut-il croire finalement que le gouvernement malien a plutôt une politique de protection du pirate et du fonctionnaire véreux ou inefficace du bureau de droit d’auteur malien.

- Comment Bowboï a-t-il été accueilli en Europe ?
Les premiers échos venant des médias qui ont reçu les CD de promotion sont satisfaisants et réconfortants. L’album sera en vente dans les magasins à partir du 26 septembre prochain (aujourd’hui vendredi). La sortie aux Etats-Unis et en Amérique du Nord se fera au printemps prochain. Entre temps, je serai en tournée européenne avec le groupe en octobre et novembre. La promotion de l’album se passe donc très bien.

- Votre mot de la fin ?
Je remercie les organisateurs de la biennale de m’avoir permis d’apporter ma modeste contribution à cette manifestation. Je prends cela comme une marque de confiance et une reconnaissance du pays. Je demande à tous ceux qui veulent réellement que l’art et la culture du Mali contribuent au développement du pays, de rester mobilisés derrière Cheick Oumar Sissoko (le ministre de la Culture). C’est le cadre qu’il fallait à ce département. Et il ne cesse de prouver qu’il a l’ambition de faire de la culture un tremplin pour le développement du Mali. Malheureusement, certains veulent déjà lui mettre les bâtons dans les roues. Nous, les artistes, venons de nous réunir pour voir comment nous pouvons soutenir ses actions. Et nous sommes convenues d’une pétition. Cette initiative sera mise en œuvre par Kandia Kouyaté. Nous invitons tous les créateurs et tous les patriotes à signer cette pétition.

Propos recueillis par Moussa Bolly