A
priori, ils ne se ressemblent pas. Lui, Marc Minelli,
biberonné au gros son rauque et à la chanson pop, quelque part entre
les Beatles et les Talking
Heads. Elle, Mamani Keïta, bien
élevée dans la tradition bambara que lui chantait sa grand-mère, avec
pour horizon l'émancipation des femmes au même titre que sa consoeur
Oumou Sangaré. Lui, havrais de
souche, parisien d'extraction, se branche sur les réseaux alternatifs
et l'énergie punk, direction toute les Etats-Unis. Elle, native de Bamako,
mais pas griotte, se fait vite un prénom
aux côtés de Salif Keïta, qui l'embarque
dans ses bagages du côté de Paris. Lui, l'auteur de plusieurs disques
et d'éternels espoirs : il faudra bien un jour concrétiser, évolue vers
la chanson à texte, tout seul comme un grand. Elle, signataire d'une
cassette, multiplie les apparitions remarquables, chez Sory
Bamba, Hank Jones et Cheick
Tidiane Seck, tout en développant son propre style.
A première
vue, on l'aura compris, ces histoires parallèles l'un et l'autre vont
à leur allure sur la quarantaine reflètent une réalité différente, partition
en noir ou en blanc, clichés d'un temps ancien. Bien entendu, l'oreille
est plus subtile, sait faire raisonner lès différences, jouer des nuances.
De monochrome à monotone, il n'y a qu'un pas... Un travers dans lequel
ces deux là n'ont nulle envie de sombrer. Eux préfèrent jeter des ponts,
tisser des liens vers demain. A y regarder de plus près, Mamani
Keïta et Marc Minelli n'ont eu de
cesse depuis bientôt vingt ans de dépasser les sempiternels refrains
de ceux pour qui quand on naît africain, il faut donner telle image,
quand on est chanteur, il faut s'appliquer à le rester. Non, chacun
suit sa voie, histoire de sortir des créneaux souvent synonymes d'impasses.
A
priori, ils n'étaient pas programmés pour se rencontrer. "Je n'étais
pas du tout familière avec la musique électronique", dit Mamani.
"Je ne connaissais rien ou presque de la musique africaine, je n'étais
jamais allé à Bamako", lui répond Marc.
Mais voilà, la chair n'est pas informatique. Voici pourquoi tous deux
se sont réunis dans ce projet autour de l'idée de "musique sans frontières",
si ce n'est celle de donner un cadre à leurs envies. Tous deux sont
donc allés voir ailleurs s'ils y étaient tous deux s'y sont retrouvés
comme jamais, comme toujours. Chacun a fait le voyage avec dans ses
bagages le savoir-faire et les partis pris acquis, avec surtout, l'envie
de découvrir l'autre pour sans doute mieux se reconnaître soi-même.
Il a bien fallu apprendre à s'écouter. "Nous avons des manières différentes
de compter la musique, de se placer sur le temps. Mamani
s'appuie sur la caisse claire tandis que moi, je chante sur la
grosse caisse. Nous avons dû nous arranger." Et en avant la musique.
Lui a joué du sampler "en prenant soin de respecter le texte, le
sens original, en ne trahissant surtout pas le propos avec les machines".
Elle a livré une collection de dix chansons, avec sa voix haut perchée
et la guitare de son fidèle Djelly Moussa
bien placée. Il s'est attaché à "raccourcir au maximum, à sculpter
la matière sonore" sans jamais perdre le fil de la voix, en
la percutant du rythme des séquences, en la frottant aux samples. Au
final, après trois ans, de copier et décoller en aller et détour, la
rencontre du troisième type s'est produite. Nourrie de fantasme et de
confrontations, sensuelle mais jamais consensuelle.
De
prime abord, "Electro Bamako", c'est de la world ! Bien entendu, c'est
tout l'inverse. Aujourd'hui, la musique est un monde ouvert sur l'infini,
un univers qui dépasse le cadre exigu des préjugés. "Arrêtons de
considérer la musique d'Afrique de l'Ouest comme un folklore." Leur
musique s'écrit au pluriel du subjectif, parce qu'elle conjugue deux
voies singulières du temps présent. Elle ne cherche pas à travestir
la force d'à propos de ses idées, il ne cherche pas à gommer les différences
de style, ils parlent juste d'une seule voix. "Cette musique prend
sa source chez Mamani qui a composé les
chansons et après elle se balade à travers des sons de toute la planète
que j'ai récoltés." Ici, nul néo-colonialisme d'un passé désuet,
juste un rétro futurisme, qui colle à l'actualité. A cet instant, le
climat général traduit le son de la grande ville aussi bien que les
sonorités de la terre. La sono mondiale, le slogan des années 80, voyage
encore bien mieux avec les progrès techniques réalisés depuis. Ce disque,
"c'est de la chanson malienne mise en son avec du jazz électro, sur
des structures pop mais avec un son rock". La voix au timbre clair
s'y laisse transporter vers d'autres horizons, portée par un trafic
sonore intempestif. Un drive bop, une ligne de piano finement exposée,
un sample de saxophone qui explose, une boucle de n'goni
au diapason, quelques cordes sensibles de violons et violoncelles,
un balafon qui donne
la pulsation, un tapis "technoïde", dans ce jeu de multipistes, il y
autant de faux départs que de vraies surprises à l'arrivée. Telle une
jungle qui bruisse et résonne d'échos en bribes de solo... Aux bons
entendeurs viendra le salut.
A posteriori, Marc Minelli est parti de
son home-studio pour Bamako. Pour de vrai, pour de bon, il y a testé
le fruit de cette union en rien contre nature. "Chez Amadou
et Mariam, j'ai écouté la maquette. Cela collait bien avec l'ambiance
générale." A posteriori, Mamani fut
aussi toute ouïe. "Au début, je ne me suis pas reconnue. Jusqu'à
ce que j'entende ma voix. Ça m'a plu !" A posteriori, cet objet
sonore jette un pont entre deux mondes, entre deux personnalités qui
finalement se ressemblent bien. Un homme et une femme, qui ont de profondes
racines, qui ont la légèreté des ailes du désir. Les deux pieds plantés
dans leur terroir, les têtes tournées vers la ligne d'horizons plus
lointains, incertains. Cela s'entend. Ceux là s'écoutent. Pour les entendre,
il suffit de se débarrasser du voile impudique des apparences trompeuses.
Tout ces a priori qui collent à la couleur de la peau, histoires de
passeport dont se Joue pour notre plus grand plaisir la musique.
Jacques
Denis
Extrait
de l'album Mamani Keïta & Marc Minelli
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